ISSN 2271-1813

...

 

Publication disponible:

Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 129

L'AVANT-COUREUR 3 (1760-1773)

1Titres L'Avant-Coureur, feuille hebdomadaire où sont annoncés les objets particuliers des sciences et des arts, le cours et les nouveautés des spectacles, et les livres nouveaux en tout genre.

En 1767, sous l'impulsion de son nouveau et récent propriétaire, le titre est modifié: L'Avant-Coureur, feuille hebdomadaire où sont annoncés les objets particuliers des sciences, de la littérature, des arts, des métiers, de l'industrie, des spectacles et les nouveautés en tout genre.

Il prit la suite de La Feuille nécessaire (1759) et fut continué partiellement par le Journal de la littérature ou Journal de politique et de littérature de Panckoucke (Prospectus, 27 déc. 1773, A.C., p. 820).

2Dates Lundi 21 janvier 1760 - lundi 27 décembre 1773, sans interruption et régulièrement, chaque semaine, selon le rythme de périodicité annoncée. La collection comporte 13 volumes, chacun d'eux correspondant au recueil des 52 livraisons annuelles prévues, sauf le premier volume contenant les deux premières années.

3Description Chaque livraison comporte 16 p. (4 cahiers de 4 p.) dont la pagination est continue. Les volumes varient entre 832 p. numérotées, à quoi s'ajoutent 7 p. sans numéro consacrées à des tables succinctes, et 847 p. quand les tables sont plus détaillées.

Il conserva un même format: 120 x 200.

La devise de la revue est tirée d'abord d'Horace: Veniam petimusque damusque vicissim; en 1761, elle deviendra: Quidquid agunt homines nostri est farrago libelli (Juvénal).

La collection ne recueille aucune gravure, ne s'agrémente d'aucune illustration de quelque nature que ce soit.

4Publication Cette feuille a toujours été publiée et imprimée à Paris par Lambert, libraire, dont la boutique était sise rue des Fossés Saint-Germain dite de la Comédie-Française, en dépit des changements de propriétaires (Panckoucke, Lacombe); la vente s'effectuait quai Conti en 1766 puis rue Christine à partir de 1769. Lambert recevait les articles à insérer jusqu'au mercredi précédant la parution (avertissement de l'imprimeur en fin de numéro).

Elle a été vendue au prix «modique», selon les rédacteurs et objectivement, de 12 # pour un abonnement d'un an, même pour la province. Ce prix sera maintenu jusqu'au bout. En tête du nº I du 3 janvier 1763, on trouve un reçu d'abonnement pour cette somme. Chaque feuille pouvait être achetée séparément pour 6 s.

5Collaborateurs Les fondateurs de l'Avant-Coureur ont probablement été certains rédacteurs de la Feuille nécessaire née en 1759 et disparue avant l'année suivante, et certainement Anne-Gabriel MEUNIER DE QUERLON et Pierre-Joseph BOUDIER DE VILLEMERT (voir F.L., 1769; Annales typographiques, mai 1762, p. 461, à l'exclusion d'autres rédacteurs). L'Avertissement qui introduit le premier numéro reprend ironiquement le titre de leur essai précédent: «Il s'agit d'abord d'établir non la nécessité de cet écrit (aucune feuille de cette espèce peut-elle être jamais nécessaire)» (1760, nº 1, p. 3). D'autre part, le discours préliminaire ouvrant le nº 1 des Affiches de province pour l'année 1759, rédigé par Meunier de Querlon, utilisait cette même expression d'«avant-coureur».

De son côté, C.P. de JONVAL revendiquait l'honneur d'avoir participé au lancement de la revue (lettre à Osterwald du 2 avril 1772, B.P.U. Neuchâtel, ms. 1170, fº 82) et d'y être resté 4 ans, jusqu'en 1763 («un folliculaire qui fait la feuille intitulée l'A.C., nommé Jonvalle demeurant quai Conti, m'a mandé qu'on lui avait donné l'Oracle des philosophes à annoncer», Best. D9128, 10 août 1760, Voltaire au comte d'Argental). Le 20 août 1760, Voltaire ignore qui est l'auteur de l'A.C. (Best. D9159). En 1772, on rappelle à Voltaire que Jonval, sans argent, avait «travaillé à des brochures à Paris» (Best. D17643). Ce Jonval avait, encore en 1772, la réputation d'un «travailleur infatigable... qui a donné de la vogue pendant plusieurs années à un journal de Paris, et qui serait très capable de procurer un très grand débit au Journal de Neuchâtel» (Best. D17738).

En 1764, Jonval aurait été remplacé par Nicolas Bricaire de LA DIXMERIE dès février selon une lettre d'Hémery du 28 févr. 1764 (B.N., nouv. acq. fr. 1214, p. 429), en avril selon d'Expilly (f. fr. 22085, p. 1). Cette information est confirmée par les Mémoires secrets (t. 16, add., 6 juin 1764, p. 195). La Dixmerie venait de collaborer avec l'abbé de La Porte à l'Observateur littéraire qui avait disparu quelque temps auparavant. Rappelons qu'il fournissait des contes au Mercure de France, gratuitement, d'après Cubières-Palmaizeaux; La Dixmerie «a fait l'A.C. durant deux ans (1764-1765)» (Eloge, p. 120), sans réussir à s'enrichir («la société des Muses est sans doute fort agréable, mais elle est peu lucrative», Eloge, p. 108).

Deux sources différentes annoncent la participation d'un autre habitué des journaux: Pierre-Louis d'AQUIN. Les Mémoires secrets le citent pour l'année 1764 aux côtés de Boudier de Villemert (t. 16, add., p. 195); d'autre part, Voltaire demande à Damilaville des renseignements sur d'Aquin qu'il connaissait depuis 1760: «Qu'est devenu, je vous prie un Monsieur d'Aquin? [...]. Fait-il un Avant-Coureur?» (Best. D11896, 28 mai 1764); le 5 juin 1764, d'Aquin après avoir remercié Voltaire d'avoir mis Fréron «aux galères» (Best. D11906), s'être moqué de Soret, Guyon, Chaumeix, Gauchat, Hayer et d'autres, prie Voltaire d'accepter l'A.C. en hommage: «Ce sont des feuilles de chêne, en échange de votre or et de vos diamants» (Best. D9906). D'Aquin semble avoir été habilement utilisé par Panckoucke pour servir de liaison entre Voltaire et L'Avant-Coureur (voir Best. D11934, à Damilaville, 18 juin 1764).

On ajoute aussi Jean Soret mais plus en souvenir de La Feuille nécessaire (1759) que comme membre effectif de l'A.C.

Mais cette revue, comme bien d'autres, semble avoir été une affaire d'éditeur, de libraire ou d'imprimeur qui désiraient occuper le secteur du journalisme en plein développement: «à voir continuellement éclore, se multiplier et se succéder tant d'ouvrages périodiques, on dirait qu'il y a parmi nous un concours ouvert pour ce genre..., la seule idée de ce concours a quelque chose d'attrayant et nous en avons été frappés» (Avertissement du 21 janv. 1760, nº 1, p. 3). D'Aquin lui-même avouait à Voltaire que sa participation au périodique relevait du «commerce» (Best. D11906, 5 juin 1764).

Lambert, imprimeur (1760-1762), Panckoucke éditeur-libraire (1763-1766), Lacombe éditeur-libraire (1766-1773) furent les propriétaires successifs du journal (A.N., Minutier central, XXXV-732; LXXXIII-515).

Parmi les collaborateurs réguliers, on relève les noms de l'ingénieur Pingeron (nº 32, 6 août 1770, p. 664 entre autres) mais surtout le savant physicien La Perrière de Roiffé qui envoie des pièces sur divers sujets scientifiques (l'œil des femmes, 20 févr. 1764, p. 113-116; une question de physique, 25 juin 1764, p. 401-405; en 1765, une éclipse de soleil, p. 496-502; les monstres, p. 624, 734 et suiv.; en avril 1766, une critique de Lalande, p. 278-283, entre autres nombreuses interventions).

D'autres personnes utilisent l'A.C.: Turben, compilateur d'une collection de morceaux rares et d'ouvrages anciens et modernes, élagués, traduits et refaits, publiés sous le titre du Conservateur en 18 volumes de novembre 1756 à décembre 1760, souhaite répondre aux critiques lancées contre son ouvrage, L'Institution de la jeunesse, Paris, 1762, 8º, 88 p. (5, 8, 11 et 15 nov. 1762); Beaumé, maître-apothicaire, réplique les 18 mars, 21 mars, 25 avril, 31 mai 1763, aux sévères critiques que lui adresse le docteur Augustin Roux dans son Journal de médecine en octobre 1762; Gilbert de Préval, médecin à Paris, proteste contre un plagiat (11 août 1763); Bonne, maître de mathématiques et ingénieur-géographe, présente une question de cartographie (7 et 12 sept. 1763); Barletti de Saint-Paul fait la promotion de son livre sur l'éducation des jeunes gens (26 sept. -26 déc. 1763); Morand, médecin de la faculté de Paris, adresse une lettre sur l'inoculation aux médecins de Liège (24 sept. 1763, p. 609-612); un ingénieur, E. Basin, décrit une machine hydraulique (3 déc. 1763, p. 777); un maître en chirurgie versaillais, Marrigues, répond le 13 mai 1765, p. [289], à un mémoire paru dans le Journal encyclopédique le 15 février 1765.

Quelques participations littéraires apparaissent, surtout à partir de 1764: Dorat (lettre du 17 sept. 1764, p. 603-604, sur les Lettres à Valcour); Poinsinet (lettre sur la critique qui venait de paraître, dans le Mercure de France, au sujet de sa comédie, La Soirée à la mode, 22 oct. 1764, p. 679-683); La Harpe (lettre sur la Clairon, avril 1765, p. 168-171; et 4 avril 1767); Thomas, jouant un rôle éphémère de correspondant, envoie le programme de l'Académie des belles-lettres de Marseille en 1763 (lettre à Barthe, 27 sept. 1763, R.H.L.F., t. 25, p. 150); enfin, l'A.C. a réussi à obtenir une superficielle contribution de Voltaire comme celui-ci l'avait promis à d'Aquin: il confie à la revue une lettre adressée à Thomas sur son Eloge de Descartes (24 oct. 1765, p. 658-659); une autre lettre adressée à Voisenon (25 nov. 1765, p. 743-744); et quelques autres petits textes (voir historique de la revue).

En 1764 se manifeste une innovation qui sera écourtée par les prestations du Mercure de France: la publication de poésies inédites dues à de jeunes auteurs contemporains; par exemple, le 7 oct., p. 645, une Epître à Minette, le 22 oct., une Epître à Goldoni signée d'Aquin, p. 694; le 21 janv. 1765, vers de Favart et de Poinsinet sur les actrices, Mlle Arnaud et Mme Razetti; vers de Voisenon en réponse à Favart nº 49; La Harpe le 2 févr., nº 6, p. 84; R. de Chabannes, ibid., p. 228.

6Contenu La revue se consacre à l'information événementielle dans les domaines de la vie économique, technique et culturelle, comme l'annonce et le souligne, de façon détaillée, le sous-titre de 1767. Ce triple aspect explique qu'elle s'intéresse à la vie des académies, à la bibliographie récente, mais surtout aux spectacles des différents théâtres (par ex., à la Foire Saint-Germain, les tours du sieur Comus, 1er févr. 1762, p. 75), le genre ambigu-poissard du théâtre des Boulevards, 3 août 1767, p. 493; le drame larmoyant de Beaumarchais Eugénie (1767, p. 140); la tragédie de Du Belloy Le Siège de Calais dont elle donne le précis «à cause de son succès» (6 mars 1765, p. 120-124); au monde de la musique: elle s'attarde longuement sur la mort de Rameau, en proposant une épître «ingénieuse» de Marmontel, une description «du service magnifique» dans l'église des Pères de l'Oratoire où furent donnés la Messe «si connue» de Geille, et le «beau» De Profundis de Rebel et enfin un parallèle avec Lully (7 oct., p. 648-654); à ce véritable dossier célébrant le passé et magnifiant le présent, elle ajoutera la pièce manquante sur l'avenir, sous la forme d'une lettre réclamant l'érection d'une statue de marbre réalisable par souscription (29 oct. 1764, p. 699-701).

Le 5 mars précédent, elle n'avait pas oublié de parler d'un «phénomène extraordinaire»: le petit Mozart, âgé de 7 ans, éberluait les salons parisiens par sa virtuosité instrumentale et ses capacités musicales sous la férule de son père (1764, p. 153-156). Parfois, seul l'aspect social et mondain de l'art la retient comme cette lettre sur les moyens de danser deux contredanses à la fois dans un même salon (1763, p. 86-89).

Mais plus nombreuses encore sont les informations concernant les inventions pratiques conduisant à des améliorations de la vie quotidienne. Le 11 janvier 1762, sous le titre Police, elle envisage la suppression des enseignes saillantes dans les rues, qui offensent les yeux d'un «bariolage obscur et dangereux qui les déparait» (p. 19); elle suggère même qu'aux enseignes plaquées succèdent des bas-reliefs, des tableaux et autres véritables ornements qui honoreront les arts en même temps qu'ils embelliront leurs places». Ce sens du confort la pousse à donner le détail des inventions de machines «utiles», comme ces «chancellières», transportables à l'église pour se garantir du froid pendant l'office mais utilisables aussi pour bassiner un lit (p. 21) ou comme ce «nouveau semoir» (26 juil. 1762, p. 467-473 et 2 août, p. 483-489), cette nouvelle «charrue à défricher» (13 sept. 1762, p. 579-584), ces «cannes à parasols» du sieur Navarre (13 août 1764, p. 520-523 avec une réponse du sieur Reynard le 17 sept., p. 598-600), ces «machines hydrauliques» (13 déc. 1762, p. 801-806 ou 3 déc. 1764, p. 777). Elle n'hésite pas trop à descendre aux détails les plus inattendus comme ce 21 juillet 1765 où elle publie un «avis pour des sardines fraîches» (p. 455).

Elle profite aussi du calendrier pour publier des mémoires sur les vendanges (22 août 1763), sur la voracité des insectes et la défenses des plantes (12 sept. 1763), mais aussi sur l'organisation du travail agricole perturbé par un trop grand nombre de fêtes religieuses (29 août 1763, p. 546-552).

Mais ce goût pour les «machines» et les «objets intéressants» (Avertissement, 1772) ne l'écarte pas d'un autre souci: la littérature. On a vu que les rédacteurs, probablement par l'intermédiaire de d'Aquin, avaient réussi à s'attirer les bonnes grâces de Voltaire (1764). Mais celui-ci, s'il est toujours loué et souvent cité (25 nov. 1765, nº 2 1766, nº 2 1767, p. 29 et 526-527) est moins présent que d'autres auteurs moins engagés, plus calmes, plus conciliants, plus gais surtout comme Marmontel (23 janv. 1764, p. 62; 2 févr. 1765 à propos de sa traduction de Lucain; le 3 mars 1766, p. 138, à propos de son conte La Bergère des Alpes; de son livret Annette et Lubin, le 12 avril, p. 231-233; le 24 décembre 1764 pour une «nouvelle et magnifique édition de ses contes, ouvrage universellement applaudi tant en France que dans les pays étrangers», p. 827; voir aussi 1765, p. 175, p. 219, p. 252). A cet auteur s'ajoute la pléiade des jeunes auteurs à la mode: Dorat (3 sept. 1764, p. 564-566 et p. 603-604, 26 nov. 1764, p. 761; 17 juin 1765, p. 368; 1766, p. 1-7, 81-86), Poinsinet (22 oct., p. 679-683), Baculard d'Arnauld (1764, p. 783; 1765, p. 290), La Harpe (2 févr. 1765, p. 84), Rochon de Chabannes (1765, p. 228, 284-288), Thomas (1765, p. 658; 1766, p. 234-236; 1767, p. 60), Malfilâtre (24 avril 1768, p. 266-270), Blin de Saint-Maure (1765, p. 417).

Cette liste suggère que, pour les rédacteurs, Rousseau semblera ou trop exalté ou trop rigoriste (1766, p. 732), comme l'autre Genevois Clément, «d'humeur chagrine» auquel ils préfèrent le «badinage ingénieux» d'Horace (1770, p. 32), ou comme cet auteur du drame Kailaz ou les jeunes sauvages, dédié précisément à J.J. Rousseau, dont «le style grave et sentencieux» ne leur plaît absolument pas (1770, p. 668).

Chaque année comporte une table des matières dressée par ordre alphabétique. Pour les livres annoncés, la liste suit l'ordre chronologique d'apparition sur les pages des 52 numéros annuels de la revue.

7Exemplaires B.N., Z 22061-22073.

8Bibliographie A.C. a été imité à Vienne en Autriche par le Realzeitung (A.C., nº 8, 22 févr. 1773, p. 119). Il a été signalé dans les Annales typographiques (mai 1762, p. 461); Fréron lui accorde trois pages de présentation détaillée sans donner aucun nom de responsables mais en énumérant les différents contenus des quatre rubriques principales (Universités et Académies, Beaux-Arts, Spectacles, Notice des livres nouveaux), après en avoir bien établi le genre: «simple gazette» (A.L., 1760, t. 3, 6 mai, p. 210-214).

Sources manuscrites: B.P.U. Neuchâtel, ms. 1170; B.N., nouv. acq. fr. 1214; f. fr. 21963, 21966, 22085; A.N., Minutier central (XXXV-732; LXXXIII-515).

Mentions dans la presse du temps: Annales typographiques, 1762. Bachaumont, Mémoires secrets. Cubières-Palmezeaux, «Eloge de la Dixmerie» (Mémoires de la société des Neuf-Sœurs, 1792). F.L., 1769. Rousseau, Correspondance générale. – Aime-Azam D., «La Presse à la fin de l'ancien régime», Cahiers de la presse, Paris, 1938, p. 428-438. – Tucoo-Chala S., Ch.J. Panckoucke et la libraire française (1736-1789), Pau, Paris, 1977.

Historique 1759: Meunier de Querlon reprend à son compte l'expression «avant-coureur» pour qualifier ses Affiches de province (discours préliminaire du 1er numéro de 1759). Elle avait déjà été employée par A. La Barre de Beaumarchais en 1735 (publication d'un périodique à Francfort, selon Fr. Bruys, Mémoires historiques, critiques et littéraires, Paris, 1751, p. 165).

1760: dans l'Avertissement du nº 1 de l'A.C. (21 janv.), on trouve une allusion moqueuse à la Feuille nécessaire: «Aucune feuille de cette espèce peut-elle être jamais nécessaire» (p. 3). Le nom propre cache la nature et la fonction d'une «gazette»; le même avertissement utilise très sciemment cette dénomination pour situer, dans une typologie de genres, la nouvelle revue: elle sera aux journaux, c'est-à-dire au domaine culturel à cette date, ce que la gazette est au discours historique, c'est-à-dire au domaine politique. Le contenu de cette gazette est encore qualifié de «littéraire»; l'orientation changera en 1766, et plus encore la conception idéologique de la revue.

Deux conséquences sont attachées à ce choix: une contrainte de temps («servir promptement la curiosité publique», A.C., 1760, p. 3) et une contrainte de style («austère», p. 5; «laconique», p. 6).

1763: les journalistes n'ont pas su respecter les exigences contraignantes du genre. Ils reconnaissent, à cette date, avoir eu tendance à se rapprocher de la forme du «journal», en composant des notices assez proches d'extraits (A.C., 3 janv. 1763, hors pagination). Ils sont obligés de rectifier la nature de leur travail et de répondre avec plus d'exactitude à leurs promesses de composition rapide et de rédaction courte. Ainsi, ils ajoutent, dès janvier de cette année, une rubrique non prévue: Les Livres nouveaux. Pour accélérer la vitesse de diffusion des nouvelles, il leur arrive même de faire connaître un livre dont seule la préface est imprimée (L'Art de communiquer ses idées, par La Chapelle, chez Debure, A.C., nº 38, p. 605-608).

Dès la fin de l'année, la pression de Panckoucke libraire se fait sentir. Barletti de Saint-Paul envoie trois lettres sur son prochain livre édité par ce libraire (26 sept., p. 615-620; 10 oct., p. 643-647; 26 déc., p. 821) dont le prospectus est inséré dans le nº 1 du 2 janvier 1764 (p. 5-10). Dans le dernier numéro de l'année, une liste de livres publiés ou vendus par Panckoucke est dressée avec en particulier ce vieux titre de Huet: Histoire et navigation des anciens (en 8 vol. pour 4 # 8 s.).

En 1764: il arrive que le seul compte rendu rédigé soit consacré à un livre édité précisément par ce libraire (18 juin 1764, nº 25); ailleurs, sur 8 titres annoncés, 4 sortent de chez lui (p. 189-192); le 1er octobre, on revient au livre de Barletti (p. 633-640), en insérant un rapport de commissaires sur son plan d'éducation. Le 25 juillet 1764, Panckoucke refuse la parternité d'une critique lancée contre Fréron que Voltaire aurait demandée à d'Aquin.

En 1765, Panckoucke utilise l'A.C., parallèlement au Journal des savants (août 1764 - avril 1766) et au Journal encyclopédique (15 févr. 1766, p. 186), pour faire savoir qu'il a acheté le fonds des Académies et qu'il le vend avec une réduction importante (14 janv., p. 21), qu'il diffuse des planches d'histoire naturelle (p. 24), qu'il propose une souscription pour dix années complètes de l'Année littéraire depuis 1754 pour 80 # au lieu de 240 (p. 423), et une autre pour les Fables de La Fontaine illustrées de gravures signées Fressard à 48 # (p. 489-491). Il le fera encore le 30 mars 1767 (15 vol. de Buffon en 4º ou 32 vol. en 12º, p. 205-208) et le 28 avril (nº 17, p. 268-271) en accaparant toute la rubrique des nouvelles littéraires. Signalons que dès la fin avril 1766, le J.E. annonçait cet événement (15 avril 1766, p. 143); et la Gazette de France dès le 2 avril 1764.

A partir du nº 29, l'ordre des rubriques change et se fixe définitivement. En général, le périodique débutait par un article consacré aux sciences, aux arts, aux industries; grâce à un glissement opéré sur le sens du mot Arts, utilisé dans le nº 28 pour annoncer un sujet de mécanique, le même mot introduit des pages de poésie (nº 29, p. 1). Les numéros suivants s'ouvriront sur les arts au sens moderne d'activités artistiques (gravure, nº 31; peinture, nº 32; sculpture, nº 36; musique, nº 42; poésie, nº 49).

A la fin de cette année, les rédacteurs regrettent de ne pas publier plus de vers inédits: «Nous voudrions bien avoir de temps en temps d'aussi jolis vers de la même main. Nos feuilles en deviendraient plus intéressantes» (nº 49).

En 1766, ils commencent l'année par des poésies de Dorat, mais déjà publiées: Les tourterelles de Zelmis. La protestation du Mercure a réussi.

En janvier 1767, Lacombe, installé à la tête du périodique en réaffirme le trait principal: la rapidité («l'avantage qu'il a de pouvoir précéder les annonces des autres journaux», hors page); il tente aussi d'en modifier le contenu: moins livresque, et plus pratique. Dans ce sens, il fait appel aux «savants, aux artisans, aux négociants, aux fabriquants» pour qu'ils utilisent l'A.C. comme moyen de communication. Les rédacteurs confirment cette orientation, dans leur propre avis: le périodique doit plaire à tous: «à l'artiste, au manufacturier, au négociant, à l'artisan, à l'homme de lettres, à l'amateur et au travailleur (souligné dans le texte).

Le 12 janvier 1767 (p. 29), Lacombe publie une Déclaration sur la lettre au Dr J.J. Panckoucke, comme Voltaire le lui avait demandé (Best. D13770, 27 oct. 1766); le 21 janvier, Voltaire confie à Lacombe une «lettre académique» sur les fautes d'usage dans la langue française moderne que l'éditeur ne retiendra pas. En août 1767, p. 526-527, Lacombe insère une lettre de Voltaire sur une demande explicite de ce dernier sur une nouvelle édition du Siècle de Louis XIV.

1768: de simple courrier de la nouveauté qu'il était encore en 1767 (Avis), il devient «recueil des sciences et des arts» (Avis). Le 4 avril, La Harpe protégé et lancé par Voltaire, publie une longue lettre dans l'A.C. datée du 25 mars (Best. D14884).

1769: la formule des «notices courtes, simples et précises» est reconnue comme une condition de la réussite puisqu'elle serait copiée en province (Avis); l'autre condition est de «faire connaître promptement les nouveautés» et d'en «accélérer la circulation» (Avertissement). L'avis de 1767 précisait qu'il s'agissait de «faire jouir les inventeurs du fruit de leurs travaux».

1770: la nature de l'A.C. et sa réussite semblent suffisamment établies pour que Lacombe se contente d'utiliser l'avertissement rituel à son profit d'éditeur-libraire. Il y annonce des volumes d'estampes, dont l'avantage est dans la rapidité d'information à la manière d'un périodique précisément.

1772: l'équipe rédactionnelle se trouve devant une difficulté nouvelle. L'orientation «objectale» de Lacombe a, semble-t-il, déplu aux lecteurs; la revue leur paraît trop tournée vers les machines et les objets: «La multiplicité de ces objets intéressants l'a obligé quelquefois de retarder l'annonce de différentes nouveautés littéraires; c'est pour remédier à cet inconvénient que nous destinerons dès aujourd'hui un article séparé des nouvelles littéraires où, sous le terme d'annonces, seront insérés les titres des écrits nouvellement sortis de la presse» (Avertissement, 1772).

1773: l'opposition objets / livres est reprise dans ce dernier avertissement mais avec une préférence pour tout ce qui regarde «la description des différentes machines», pour «les notices instructives sur tout ce qui peut faire un objet de commerce ou d'utilité».

L'histoire interne révèle donc une difficulté pour ce périodique à trouver son identité (soit culturelle, soit commerciale): partagé entre une équipe rédactionnelle plutôt traditionnelle (savants goûtant les livres et la philosophie moderne) et de propriétaires plus hommes d'affaires qu'intellectuels (Lambert, Lacombe, Panckoucke). Il semble que l'image de ce périodique ait été plutôt de style commercial si l'on en croit Pingeron faisant savoir le 22 février 1773 que l'imitation autrichienne de l'A.C. avait pour nom ce titre significatif: Realzeitung. L'histoire externe confirme cette conclusion et éclaire ces difficultés.

1760: Lambert, imprimeur, est aussi éditeur de l'A.C.

20 août 1760: Voltaire, ayant entendu parler de l'A.C. par une lettre de Jonval (Best. D9128, 10 août 1760) demande à N.Cl. Thieriot qui en est l'auteur (Best. D9159).

1762: le 6 décembre, une note parue p. 796 du nº 46 annonce que «Ch.J. Panckoucke vient d'acquérir tout le fonds de librairie et de journaux de M. Lambert et [que] c'est à lui qu'on s'adressera dorénavant pour les souscriptions des différents ouvrages périodiques qui se trouvaient chez M. Lambert». Voir aussi Minutier central (XXXV, liasse 732: acte d'achat pour 100 000 # payables jusqu'en juin 1737 daté du 30 octobre 1762; cession confirmée par un document de la B.N. (f. fr. 21.963, fº 195, 196, 197) daté du 22 novembre 1764. Panckoucke partage la propriété du privilège par moitié avec son futur beau-frère Couret de Villeneuve. En 1764, Panckoucke se plaindra à J.J. Rousseau d'avoir acheté très cher un fonds «qui ne vaut rien» (26 janv. 1764, Leigh 3123). En 1762 (31 oct.), il a signé un reçu d'abonnement au nom de M. Michel (A.C. nº 1, 1 mars 1763).

1764 (début mai): Panckoucke demande à Rousseau «s'il lui serait agréable de recevoir les journaux dans sa retraite franc de port» (Leigh 3255).

25 mai 1764: Rousseau accepte l'offre de Panckoucke mais précise qu'«il a pris jusqu'ici l'Avant-Coureur... jusqu'à la feuille 18 inclusivement, excepté la feuille 2 qui lui manque» (Leigh 3290).

1er juillet 1764: Panckoucke offre à Rousseau, comme il l'a fait pour Buffon et Clairaut, un abonnement gratuit (Leigh 3374). Le 28 mai 1764, Voltaire demande quelques renseignements à Damilaville sur l'A.C. (Best. D11896); le 22 juin, il prie d'Aquin d'accepter une souscription tout en émettant une réserve sur la qualité du journal: «S'il vous était permis de rendre votre A.C. aussi agréable que vos lettres, il ferait une grande fortune. Je vous supplie de continuer» (Best. D11941).

1765 (13 décembre): Panckoucke vend à J. Lacombe les privilèges des journaux achetés à Lambert: l'Année littéraire, l'Avant-Coureur, et le Journal des savants (voir A.N., Minutier Central LXXXIII-515). Le 24 mars 1766, Lacombe est mentionné comme libraire (A.C. p. 176); son adresse rue Christine est indiquée à partir de 1769.

1767 (7 août): Voltaire se plaint à Lacombe de n'être pas traité avec «justice» par d'Aquin (Best. D14341). Le 22 juillet 1768, il félicite J. Lacombe pour sa réussite générale et en particulier pour l'A.C. et le Mercure de France (Best. D15152).

4 octobre 1773: Panckoucke rachète l'A.C. à Lacombe. Ce dernier publie dans le nº 52 du 27 décembre de la revue un prospectus annonçant et décrivant l'Espagne littéraire (le privilège date du 4 août 1773; f. fr. 21966, p. 122) dont La Dixmerie tiendra «la plume en chef» (Mémoires secrets, 13 mai 1775, Add. p. 223) et un autre prospectus annonçant la parution d'un «Journal de la littérature», «contenant toutes les nouvelles de la république des lettres, des analyses claires et précises des édits, ordonnances, déclarations, lettres patentes, les causes célèbres et intéressantes, les pièces nouvelles etc...» (A.C., nº 52, 27 déc., p. 820). Ce journal est plus exactement une gazette, au sens strict du terme.

Ce projet de Lacombe sera repris par Panckoucke: il fusionnera l'A.C. et la Gazette littéraire en un seul titre: «Journal de la littérature, des sciences et des arts», qui obtient un privilège de 20 ans (B.N., f. fr. 21966, fº 180-319; registre des privilèges des journaux). Ce dernier titre deviendra à la suite d'une fusion avec le Journal politique réalisée en octobre 1774 (D. Azam) le Journal de politique et de littérature.

Jacques WAGNER

 


Merci d'utiliser ce lien pour communiquer des corrections ou additions.

© Universitas 1991-2024, ISBN 978-2-84559-070-0 (édition électronique)